L'envol du corbeau

Le moment était favorable pour Raven. En effet, la Lune, ayant fini son cycle, avait à peine entamé sa renaissance. On ne la voyait pas encore briller dans le ciel et les quelques faibles rayons qu'elle réfléchissait parvenaient difficilement à éclairer les rues.

Raven avait observé ses traqueurs, ou plutôt ses proies, qui étaient entrées dans la ville. Ils étaient sept. Deux d'entre eux surveillaient la zone Nord-Est de la ville, Raven les avaient reconnu, il s'agissait des deux premiers à s'être engagés dans cette absurde traque. Un autre s'occupait de la zone Nord-Ouest, il s'agissait du jeune homme blond qui avait recruté les autres dans la taverne, et qui était devenu, de ce fait, le chef de cette expédition. Deux autres, que Raven ne connaissait pas, étaient chargés de la zone Sud-Ouest. Le dernier groupe de deux, quant à lui, faisait sa ronde dans la zone Sud-Est.

Raven, désormais posté sur un toit, non loin du groupe chargé d'inspecter la zone Sud-Ouest, préparait sa dague, l'enduisant d'un puissant poison. Il admira longtemps sa lame en ayant une pensée pour les habitants de cette petite ville qui allaient mal dormir. Il caressait son métal dévastateur, et, quand il se jugea prêt, il sauta sur un des deux poursuivants qu'il avait suivi, enfonçant, dans un bruit de craquement d'os, la langue de métal qui, déjà, léchait le crane de sa victime. Quand il la retira, elle laissa derrière elle une plaie béante. Il jeta un regard, au second homme qui avait sorti son épée et la tenait de ses deux mains tremblantes, puis, il lança d'un ton sarcastique « Quel dommage, je n'ai même pas pu lui arracher un cri de douleur ». Cette réplique eu pour effet d'effrayer encore plus son adversaire qui poussa un cri d'effroi, mais, qui dans un geste de folie extrême, se jeta, lame à la main, dans sa direction, dans le but de lui asséner une puissante estocade. Raven se laissa glisser légèrement sur le coté, esquivant agilement l'attaque. Il était temps pour lui de dégainer son épée. D'un geste leste, il la fit sortir de son fourreau et la plaça devant lui, se mettant ainsi en position de défense. Il aimait cette épée, un forgeron l'avait confectionnée pour le remercier d'un service qu'il lui avait rendu. Son métal était des plus légers, lui permettant d'utiliser son agilité comme il le souhaitait et sa lame était des plus tranchantes, lui permettant de donner des coups fatals à ses ennemis. Dessus, une inscription était gravée « Ægroto dum anima est, spes est », il l'avait lue tant de fois, elle s'était imprégnée en lui, elle résonnait dans sa tête lors des moments difficiles, elle le maintenait en vie. Le chasseur de primes avait décidé de ne pas lui laisser contempler l'épée une seconde de plus, tentant de le taillader au niveau des jambes. Raven esquiva cette attaque à l'aide d'une habile roulade latérale, il se releva, et, d'un geste d'une extrême violence, il enfonça son épée dans le ventre de son ennemi, lui traversant ainsi le corps et lui arrachant un terrible hurlement de douleur. Le chasseur resta quelques secondes debout, le regardant avec les yeux vitreux de quelqu'un, apeuré, qui s'apprête à affronter la mort, puis, dans un dernier râle, il tomba à terre. Raven regarda son corps sans vie et retira son épée de son ventre d'un coup sec. Ses alliés avaient probablement entendu leurs cris, ils n'allaient pas tarder à arriver. Il s'assit, adossé au mur d'une maison, pour reprendre son souffle.

Les deux autres traqueurs qu'ils ne connaissaient pas furent les premiers à arriver sur les lieux. Raven se releva et les défia du regard. Un d'eux, qui avait déjà préparé son arc, sorti une flèche de son carquois et visa Raven. Elle effleura ce dernier, qui avait décidé de ne pas bouger. L'autre se précipita sur lui à mains nues, essayant de lui donner un puissant coup de poing dans sa tête. Raven se déplaça légèrement et attrapa d'une main son poing en plein élan, de l'autre main, il fit pénétrer sa dague au niveau du cœur de son assaillant. Le coup fut fatal. Le chasseur de primes, le souffle coupé, s'effondra au sol. L'archer, quand à lui, pris de panique, lâcha son arc et se mit à courir. Raven le regarda, puis, d'une voix méprisante, il dit « Depuis quand les chats fuient-ils devant les corbeaux ? », il sorti ensuite un petit couteau et le lança en direction de la tête du fuyard, il toucha ce dernier qui, sans même avoir le temps de pousser un souffle, s'étala au sol, mort.

Il entendit un petit applaudissement retentir derrière lui. C'était le jeune homme blond accompagné de ces deux camarades. « Impressionnant, dit-il, je te propose un duel ». aussitôt, ces deux amis s'indignèrent , ne voulant pas le laisser combattre seul, il leur dit calmement que c'était son choix et ils se turent aussitôt, témoignant ainsi d'un énorme respect pour leur chef, ou plutôt leur ami. Raven accepta le duel. Les deux combattants, armés de leurs épées, s'engagèrent dans une lutte sans merci. Les estocades pleuvaient. Les deux hommes se portaient de puissants coups. Les épées se heurtaient dans un bruyant cliquetis de métal. La vivacité des deux guerriers étaient impressionnantes, ils paraient et tailladaient à tour de rôle. Les temps de repos étaient très courts, les deux hommes avaient à peine le temps de reprendre leur souffle. Raven multipliait les esquives, tandis que son adversaire, lui, semblait plus à l'aise avec les parades. Le combat avait pris un certain rythme, l'entrechoquement des lames faisaient une douce mélodie brisant le silence de la nuit. Une douce mélodie qui s'arrêta quand le jeune homme blond réussit à blesser Raven le long du torse. « Cette douleur, articula Raven en haletant, cette douleur me rappelle celle qu'il m'a fait. Merci. », il frappa ensuite son adversaire d'une multitude de violents coups qu'il avait de plus en plus de mal à parer. La douleur se répandait dans les bras du jeune homme blond, et, lorsque Raven porta un coup plus puissant que les autres, il lâcha son épée. Raven le dévisagea, son regard était celui d'une personne ne voulant laisser passer aucun détail, il semblait lire en lui comme dans un livre. Jugeant qu'il n'avait plus rien à faire ici, il commença à partir. Le jeune homme blond le rappela « Tu ne me tues pas ? » lui demanda-t-il. Raven lui répliqua aussitôt « Ne sois pas ridicule. Tu dois continuer à vivre. On se recroisera et on s'affrontera de nouveau, notre duel n'est pas fini. Tu dois t'entrainer encore ». « Laisse-nous t'accompagner », demanda le jeune homme blond. « Nous sommes seuls dans cet océan de monde », répondit Raven, avant de se laisser avaler par l'obscurité de la nuit. Les deux amis du jeune chasseur de prime, qui étaient restés silencieux et immobiles durant tout le combat, se précipitèrent aussitôt vers leur courageux ami. On pouvait entendre dans la nuit leurs voix inquiètes demander « Tu vas bien Lurek ? ».

Cela faisait deux longs mois que Raven avait combattu Lurek et ses compagnons. Les informations sur ses proies se faisaient rares, et quand il y en avait une, il s'agissait souvent d'une fausse piste. Quand il reçu la lettre de Renarde, son alliée dans sa quête de vengeance, il n'hésita pas une seconde et décida de se mettre en route vers le lieu mentionné dans la missive. il connaissait bien le lieu dont il était question, il s'agissait d'une charmante et paisible petite ville non loin de l'endroit ou il se trouvait. Il rassembla rapidement quelques affaires qu'il s'empressa de fourrer dans une petite besace marron, il attacha à sa taille son ceinturon sur lequel se trouvait son fourreau contenant son épée favorite, il s'arma d'un long manteau de fourrure ( armer était le bond mot, à l'intérieur de ce manteau se trouvait de nombreuses poches contenant toutes des petites armes et des poisons mortels ) et sans plus attendre il quitta l'auberge dans laquelle il se languissait ces derniers jours. Avant de partir, il laissa une bourse remplit de pièce d'or sur le comptoir, ce qui surpris l'aubergiste qui ne s'attendait pas à recevoir autant d'argent. Il s'empressa de parcourir la distance qui le séparer de Renarde. Il en avait pour deux jours ou plutôt deux nuits de marche.

Il arriva dans la ville, à l'aube. il se hâta de trouver le lieu de rendez-vous, une auberge nommée « Au paradis du voyageur ». Quand il entra, une femme, probablement celle qui tenait l'auberge, lui demanda d'une voix douce s' il voulait loué une chambre. Raven lui répondit qu'il venait voir une personne et entreprit de décrire Renarde, l'aubergiste lui indiqua ou se trouvait sa chambre. Quand Raven entra, Renarde lui sourit béatement, une bouteille d'alcool à la main. « Ha ! L'piaf ! T'es v'nu t'rincer l'gosier avec moi ? » l'interrogea-elle.

Raven inspecta rapidement la petite pièce. A en juger l'odeur d'alcool et de sueur, la petit chambre n'avait pas du être aérée ces derniers temps. Elle devait être coquette autrefois, mais en cette instant, ce n'était qu'un trou à rat sombre et puant. Une épaisse couche de poussière recouvrait les meubles. Le sol était jonché de salissures et de morceaux de verres. Beaucoup de bouteilles d'alcool vides s'entassaient au fond de la pièce. L'ambiance qui régnait dans cette chambre rappelait beaucoup à Raven celle des tavernes qu'il était habitué à fréquenter.

Raven s'approcha de la table ou Renarde était assise et tira un tabouret. Deux verres étaient disposés sur la table. Renarde rejeta sa crinière rousse en arrière et le fixa de ses yeux verts. Elle tenta de lui servir un verre, mais visiblement elle avait bien trop bu et cette tache lui était pratiquement impossible. Quand elle eu enfin réussi à verser une dose à peu près correcte d'alcool dans le verre de Raven, elle porta la bouteille à ses lèvres et but de grosses lampées. Raven, lui, sirotait lentement son verre. « J' t'ai connu beaucoup plus courageux qu' ça, vociféra-elle, cul sec ». Elle vida la bouteille en quelques gorgées.

Il savait que ce n'était pas raisonnable de la laisser faire, mais elle avait besoin d'oublier, oublier ce qui c'était passé quand elle était petite, à cette époque, Raven n'avait pas su la protéger. A chaque fois qu'il s'allongeait, il se rappelait de ce moment. C'était comme un cauchemar qui le suivait. Il revoyait son village se faire massacrer. Il entendait les cris de désespoirs des personnes ayant perdu leurs proches. Il revoyait son frère s'effondrer dans ses bras, une épée lui traversant le corps. Il revoyait le visage du meurtrier de ce dernier. Il revoyait sa mère, sous les débris, affaiblie. Il se revoyait lui, petit, à genoux, devant elle, avec à ses cotés Renarde, apeurée, choquée, muette. Il se revoyait, pleurant, suppliant sa mère de ne pas partir, de ne pas le laisser, de ne pas mourir. Il revoyait, au loin, cette armée pillant et massacrant les villageois, cette armée portant un étendard sur lequel était brodé le blason de la famille royale. « Massacrez ces hérétiques », criait un homme. Il ré entendait sa mère leur dire de fuir, de courir, de jamais se retourner. Il sentait à nouveau Renarde lui saisir le bras, plantant ses ongles dans sa chair. Il revoyait la foret vers laquelle il avait courut, haletant. Il savait que c'était sa seule chance de survie, la foret était si dense qu'il ne risquait pas de croisait de rayon de soleil néfaste pour sa santé, tout le monde avait peur d'y pénétrer tant elle était sombre, mais pour lui, ce n'était pas pareil, il aimait le noir, ça lui procurait un sentiment de confort et de sécurité, il savait qu'il y trouverait de l'eau et qu'il pourrait chasser du gibier. C'est dans cette foret qu'il changea. Il devint plus sombre, moins sociable, plus adulte. Il oublia son ancienne identité, tout comme Renarde, se donnant le pseudonyme de Raven. Il apprit l'art de la survie, l'escrime et tout ce qui lui était essentiel pour l'assassinat, tout comme Renarde apprit à se servir d'un arc, à chasser et à poser des pièges. Et plus que tout, il attisa son désir de vengeance, non seulement envers ceux qui étaient présents lors du massacre, mais aussi envers la famille royale et la religion.

Renarde finit par s'assoupir, Raven la porta jusqu'à son lit puis il retourna s'assoir, occupant son temps comme il pouvait. Il était évidant qu'elle avait quelque chose d'important à lui dire, elle ne l'aurait pas fait venir sinon, mais ce n'était pas le moment d'en parler, elle avait bien trop bu et n'était pas en état. Il la questionnerait dans quelques heures.

Au bout de deux heures passer à aiguiser ses couteaux, il s'approcha d'elle, écartant délicatement ses longues mèches rousses de son visage. Elle dormait paisiblement. Au moins l'alcool lui avait apporter un sommeil tranquille, sans cauchemar. Il resta là, à l'observer, jusqu'à son réveil. Elle avait beaucoup changeait, elle n'était plus la petite fille fragile qui venait lui tenir compagnie, à lui, qui était si seul dans sa maison, ou plutôt sa prison dont il ne pouvait s'évader que la nuit. Elle n'était plus celle qui venait lui apporter du réconfort, celle qui l'écoutait attentivement quand il disait à quel point il haïssait sa maladie; à quel point il haïssait ces quelques personnes, dans le village, qui se moquaient de sa malchance, qui l'accusaient de tout les maux, qui faisaient courir d'horribles rumeurs sur lui; à quel point il haïssait même ses parents de l'avoir fait venir au monde. Elle n'étais plus celle qui passait de longues heures à le consolait, celle qui réussissait à lui faire penser à autre chose que son malheur. Elle n'était plus celle qui réussissait à le faire sourire et même parfois à le faire rire.

Quand elle se leva, elle était dans un état comateux. Elle se touchait régulièrement la tête. « Ha, quelle migraine, maugréa-elle, on dirait que j'ai beaucoup bu, hier ». « Juste une larme d'alcool, comme toujours » répliqua aussitôt Raven, ce qui eu pour effet d'arracher un sourire à Renarde. De toute évidence, elle était heureuse de le voir. Ils discutèrent longtemps de ce qui leur était arrivé ces derniers temps. Raven finit par lui demander pourquoi elle l'avait fait venir. Renarde hésita puis elle dit d'un air grave, presque effrayant « J'ai retrouvé le meurtrier de ton frère ».